06/11/2025 voltairenet.org  5min #295557

Club Valdaï de Russie : Chine / États-Unis : le choc, avec le retour des États-civilisations

par Alfredo Jalife-Rahme

Le directeur de recherche du Club Valdaï, Fyodor Lukyanov, considère que l'affrontement entre les États-Unis et la Chine domine l'ensemble des relations internationale. À son sens, il ne s'agit pas d'une concurrence idéologique ou commerciale, mais d'une compétition entre deux styles, deux manières d'être, en définitive deux civilisations : d'un côté la brutalité et la conviction que seule la force compte, de l'autre le compromis et l'évolution progressive.

Dans la phase de transition chaotique - du défunt ordre mondial unipolaire (celui de la mondialisation financiariste) au nouvel ordre multipolaire/polycentrique naissant - le débat d'idées s'est également déplacé : du choc (balkanisateur) des civilisations et de la reconfiguration du nouvel ordre mondial de 1996 (le livre était paru avec une préface de Brzezinski, pendant la présidence unipolaire de Bill Clinton !), œuvre du toxique Samuel Huntington [1], ancien apparatchik du département d'État, au Dialogue des civilisations, publié en 2000 comme une alternative, par l'ancien président réformiste iranien Mohammad Khatami [2] ; cet ouvrage se trouve maintenant promu par la Chine.

Il va sans dire que le monopole de la propagande des mondialistes néolibéraux a aussitôt anéanti la proposition séduisante de Khatami.

Au lendemain de l'échec du G-2 de Trump avec la Chine - « Il n'y a pas eu de G-2 de Trump avec la Chine : méditez sur le nouvel ordre tripolaire avec Poutine et Xi. Tenez compte de l'ombre de Khabarovsk (écrivais-je sur Substack [3]) en Russie », et ma vidéo sur la dissuasion stratégique : « Aurons-nous évité une troisième guerre mondiale grâce au missile Burevestnik et au drone Poséidon ? [4], voilà que le très influent Fiodor Loukyanov affirme dans Russia Today, deux jours après le sommet dysfonctionnel entre Trump et Xi, que « alors que les États-Unis et la Chine entrent en collision, d'autres civilisations se préparent à suivre leur propre chemin », tandis que « l'ère de la mondialisation affable est terminée et que les civilisations reviennent en force [5] ».

Lukyanov est rédacteur en chef de Global Affairs, président du think tank russe Conseil de la politique étrangère et de défense, et enfin directeur de recherche du Club Valdaï [6], le groupe de réflexion de ce think tank. Il soutient que « l'ordre libéral dominant a commencé à se fissurer bien avant l'entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche, mais son arrivée a rendu la rupture visible et irréversible ». Il ne précise pas s'il s'agit de Trump 1.0 ou de Trump 2.0.

Aujourd'hui, « le pendule est revenu du côté de l'identité, de la différence et de l'affirmation de soi à échelle civilisationnelle ». Rien de plus ni rien de moins qu'une pluralité biosphérique anti-manichéenne !

Il insiste : le trumpisme, qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, « est la réalité que chacun doit prendre en compte dans ses stratégies. J'en déduis que des pays peuvent mourir s'ils ne savent pas s'adapter, ou s'ils ont parié sur le mauvais cheval, face à la nouvelle réalité stratégique du nouvel ordre multipolaire mondial.

Au-delà de son approche presque psychanalytique de la personnalité théâtrale de Trump, qui contraste avec Xi, plus sobre et prudent, Lukyanov soutient de manière convaincante que « Beijing a atteint la parité avec Washington ou le fera bientôt. Ce qui en fait le principal rival géopolitique des États-Unis » alors que « culturellement les deux superpuissances ne pourraient pas être plus différentes ».

Il juge que « l'avenir des relations entre les États-Unis et la Chine suivra un rythme similaire à celui des négociateurs commerciaux : pression, pause, accord partiel, rupture et répétition. Chaque camp testera l'ampleur des dégâts qu'il peut provoquer comme une menace sans tomber dans le désastre.

Lukyanov poursuit : « Il ne s'agit pas d'une nouvelle guerre Froide. C'est quelque chose de plus fluide, de plus imprévisible. Le monde d'aujourd'hui n'est pas bipolaire, c'est un système dans lequel d'autres acteurs importants, de la Russie et de l'Inde aux coalitions régionales au Moyen-Orient, en Eurasie et en Amérique latine, se feront sentir », mais il déclare de manière fondamentale que « l'axe central de la transformation est la divergence entre les États-Unis et la Chine ».

Il ajoute que « la variable décisive ne sera pas l'idéologie, mais la distribution du pouvoir. L'identité civilisationnelle ajoute de la profondeur au conflit ; l'économie et la technologie lui rendent la dimension de l'urgence ; et les styles de leadership déterminent le rythme.

Il conclut qu'« un monde d'acteurs civilisateurs est arrivé, tantôt coopérant, tantôt en concurrence. Et la relation entre les États-Unis et la Chine en définira les contours plus que tout autre facteur. Mais où situe-t-il la Russie ?

Il me semble que Loukyanov réduit l'épilogue du nouvel ordre mondial à l'affrontement entre les États-Unis et la Chine, sans tenir compte de l'ampleur de la nouvelle panoplie d'armes indétectables de la Russie, qui nous met en état de choc.

 Alfredo Jalife-Rahme

Traduction
 Maria Poumier

Source
 La Jornada (Mexique)
Le plus important quotidien en langue espagnole au monde.

[1] The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, Samuel Huntington, Simon & Schuster (1996).

[2] «  Dialogue of Civilizations », Parliament of Malaysia |Research Unit/HA, January, 2013.

[3] «  NO Hubo "G-2" de Trump con China : Medita el "Nuevo Orden Tripolar" con Putin y Xi. Sombra del "Khabarovsk" de Rusia », Alfredo Jalie-Rahme, Substack, 3 de noviembre de 2025.

[4] «  ¿NO habrá Tercera Guerra Mundial ? », Alfredo Jalife, YouTube, 4 de noviembre de 2025.

[5] «  Fyodor Lukyanov : As the US and China collide, other civilizations prepare their own course », Russia Today, November 1, 2025.

[6] Site officiel du  Club Valdaï.

 voltairenet.org